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6 heures du matin. Le village de pêcheurs de l’étang de l’Ayrolle dort encore. Une seule lumière s’échappe de la porte de garage : celle de Sébastien Gaubert, pêcheur gruissanais. Aujourd’hui, il sera le seul des cinq pêcheurs de l’Ayrolle à partir sur l’eau au petit matin. Il traîne dans le ciel des nuages rosé par le lever du soleil. "Moi, je travaille avec le soleil." Il se sert un café, il enfile sa combinaison et sort de sa cabane. L’eau clapote sur les coques des bateaux en bois et en métal du village de pêcheurs. Des filets de pêche s’accumulent dans de grands seaux. Tous les jours sont différents pour lui. "Il ne suffit pas de jeter un filet et qu’il se remplisse. Le poisson, ça se suit." Sébastien bouge ses appâts de place tous les jours. "Aujourd’hui, on va à 15 minutes au nord de l’étang." Embarquement immédiat dans sa barque rudimentaire. Il ne faut pas perdre de temps. Sébastien, nerveux, demande plusieurs fois l’heure. "Il faut se dépêcher. Il faut être à la halle aux poissons à 8 h 30 pour les clients", explique-t-il. 

L’embarcation vrombit et soudain un petit vent fouette le visage du pêcheur. Son regard ne lâche pas la ligne d’horizon, tandis que son visage se déforme en léger sourire. L’air n’est pas froid, mais humide. Peu à peu, les vêtements deviennent moites. Sur sa barque, tout est fait maison. Les appâts sont fabriqués avec des flotteurs fluo, une ligne et des bouchons de liège. "Rudimentaire, mais efficace", analyse-t-il fièrement. Le seau dans lequel s’entassent les pièges provient de la pâtisserie du village. "Rien n’a changé depuis le temps. Seulement le moteur. À l’époque, ils utilisaient des voiles", explique-t-il. Sébastien pratique le masclaou, une technique de pêche à l’hameçon. 6 h 56. La première prise de la journée. Un loup. "800 grammes" estime Sébastien à l’œil, alors qu’il enferme le poisson dans sa glacière.

 

Quand on lui demande combien de poissons il remonte à la surface, difficile pour le pêcheur de nous donner un chiffre. "Tu peux très bien pêcher 10 poissons de 500 grammes. Ou alors tu ne pêches qu’un poisson, mais de 2 kg. Il n’y a pas de moyenne. C’est le loto. Il faut être prêt à travailler pour rien."Sébastien connaît l’étang comme sa poche. Il y a 15 ans, il a quitté son travail pour devenir pêcheur, sous l’influence de son frère, lui-même pêcheur. Il faut bien. Le point le plus bas de l’étang se situe à peine à un mètre et demi. À certains endroits, les bateaux se retrouvent dans quelques centimètres d’eau. "Après une série de tramontane (vent de la côte méditerranéenne venant du Nord-Ouest), il y a quasiment plus d’eau. La lune influence beaucoup aussi", analyse-t-il. S’ajoute à cela les nids de cascail, des vers qui se regroupent en colonies et forment des récifs. Bénédiction pour les poissons, obstacle pour les coques des bateaux. L’étang se vide, et se remplit selon les conditions météorologiques. "

 

C’est l’un des rares étangs qui est ouvert naturellement sur la mer. Il se gère tout seul. Pas besoin de l’intervention de l’homme", explique-t-il. Dans ces eaux, les loups côtoient les dorades royales, les mulets, les anguilles et les crabes. Mais ces conditions de travail ont un prix. L’étang de l’Ayrolle est régulé par la prud’homie. Il s’agit du tribunal local de pêcheurs, une tradition depuis 1791, "une des plus vieille de Méditerranée". Ses jugements permettent d’organiser et de réglementer la pêche autour de l’étendue d’eau, et de répartir les postes de pêches convoités. "C’est pour permettre à tous les pêcheurs d’être égaux. Ce n’est pas celui qui a le plus gros bateau qui fait la loi", analyse Sébastien, lui-même premier prud’homme de Gruissan. La prud’homie fait partie de la vie des pêcheurs "mais aussi du village", explique-t-il. "Réguler et préserver l’étang, c’est préserver notre garde-manger", ironise-t-il en remontant un gros loup. Au retour de la pêche, pas une minute à perdre.

 

Sébastien embarque ses loups dans le coffre de son fourgon blanc. Direction : la Halle aux poissons, à seulement 5 kilomètres du village des pêcheurs. Chaque matin, les Gruissanais peuvent également acheter du poisson fraîchement pêché directement aux cabanes des pêcheurs de l’Ayrolle, au pont du port du village. À peine ses loups posés, les premiers clients arrivent pour féliciter le pêcheur de sa prise. Aujourd’hui, 8 kg de poisson. "Un jour de pêche convenable", conclut Sébastien.

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